Suite Française
En suivant ma méthode habituelle de sélection rigoureuse des livres à la bibliothèque (c'est-à-dire rigoureusement au hasard), je suis tombée sur Suite Française de Irène Némirovsky.
Cette écrivaine juive d’origine russe, mais de langue française grâce à sa nourrice, mourut à Auschwitz en 1942.
Le manuscrit de Suite Française, conservé, perdu puis retrouvé par ses filles, fut publié en 2004 et obtint le prix Renaudot la même année. C'est la première fois que ce prix fut attribué à titre posthume.
Et bien je me délecte avec ce livre, non seulement pour son intérêt historique, mais aussi pour la poésie de son écriture, et pour l'universalité de l'analyse des caractères humains.
Je suis émue de vivre l'exode de mai 1940 comme l'a vécu ma grand-mère. Je suis émue de comprendre l'ambivalence des sentiments des français pour "l'occupant" allemand (remember Le silence de la mer de Vercors). Je suis émue de savoir que la femme sensible et cultivée qui a écrit ce texte a été tuée par la folie de cette guerre.
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Un extrait ?
"Il y a un abîme entre le jeune homme que je vois ici (un soldat allemand - NDLR) et le guerrier de demain, se dit-elle. On sait bien que l'être humain est complexe, multiple, divisé, à surprises, mais il faut un temps de guerre ou de grands bouleversements pour le voir. C'est le plus passionnant et le plus terrible spectacle, songea-t-elle encore ; le plus terrible parce qu'il est plus vrai ; on ne peut se flatter de connaître la mer sans l'avoir vue dans la tempête comme dans le calme. Celui-là seul connaît les hommes et les femmes qui les a observés en un temps comme celui-ci, pensa-t-elle. Celui-là seul se connaît lui-même."
L'extrait précédent était pour illustrer l'analyse des caractères. il en faudrait un autre pour illustrer la poésie de l'écriture, non ?
"C'était un très jeune chat qui ne connaissait que la ville ; là-bas les nuits de juin on ne les respirait que de loin ; on en respirait parfois une bouffée tiède et grisante, mais ici le parfum montait jusqu'à ses moustaches, l'entourait, le saisissait, l'étourdissait. Yeux à demi clos, il se sentait parcouru par des ondes d'odeurs puissantes et douces, celle des derniers lilas avec leur petit relent de décomposition, celle de la sève qui coule dans les arbres et celle de la terre ténébreuse et fraîche, celle des bêtes, oiseaux, taupes, souris, toutes les proies, senteur musquée de poils, de peau, odeur de sang..."